jeudi, octobre 06, 2005

La cigüe du PQ

Ciguë (nom féminin) Plante vénéneuse de la famille des ombellifères.• Poison extrait de cette plante.

L'extrait de texte que je vous propose ce matin est cadenassé dans Le Devoir mais accesssible chez Vigile. Il est encore très d'actualité...

Michel David
Le Devoir, samedi le 1er octobre

Ghislain Lebel a dit tout haut ce que les autres candidats craignent tout bas en déclarant au Devoir qu'à moins de nouvelles révélations sur le passé d'André Boisclair, la course à la succession de Bernard Landry est à toutes fins utiles terminée.

L'attaque en piqué de Richard Legendre, lors du débat de mercredi soir dernier, avait toutes les apparences d'un geste désespéré, sinon du baroud d'honneur. Dans l'espace médiatique, M. Legendre a peut-être ravi temporairement à Pauline Marois le statut de deuxième aspirant au titre, mais cela ne fragilise en rien la position du meneur.

La politique est un monde qui réserve bien des surprises, mais le phénomène du «Grand Pardon» provoqué par les révélations sur la consommation de cocaïne de M. Boisclair a fait perdre leurs repères habituels à ceux qui croyaient avoir tout vu.

Il est vrai que l'opinion publique semble parfois avoir des lubies. Entre les élections partielles de juin 2002 et le désastre du discours devant le Canadian Club de Toronto, la possibilité qu'il devienne premier ministre est apparue brièvement, mais on ne doutait pas vraiment que le bon sens finirait par l'emporter. De toute manière, l'ADQ n'était pas un véhicule suffisamment solide, tandis que le PQ est un instrument efficace, qui peut très bien permettre à M. Boisclair de réaliser ses ambitions.

Pour l'heure, ses adversaires s'avouent totalement confondus. Comment réagir de façon articulée à l'irrationnel pur? Selon les règles habituelles, des révélations de cette nature auraient du être fatales à n'importe quel candidat, moins pour des raisons d'ordre moral qu'à cause du manque de jugement qu'elle traduisent et de l'incalculable risque politique que M. Boisclair fera courir au PQ et au mouvement souverainiste à compter du 16 novembre.

Là encore, M. Lebel s'est fait l'écho des inquiétudes de ses adversaires dans son entrevue au Devoir: «Les libéraux vont le ramasser là-dessus. Ils attendent leur heure». Sans parler d'Ottawa, qui possède des moyens d'investigation sans commune mesure avec ceux de la presse.

Les vétérans du PQ observent d'un oeil horrifié cette course vers l'abîme, en se demandant sans trop y croire si les membres du PQ auront, d'ici le 15 novembre, un sursaut de lucidité. Un ancien ministre évoquait même la tragédie de Jonestown, en Guyane, où 913 membres d'une secte, complètement subjugués par un chef dément, s'étaient suicidés en avalant un cocktail à base de cyanure le 18 novembre 1978. À l'en croire, les membres du PQ s'apprêtent à leur tour à avaler la ciguë.

En réalité, personne ne sait ce qu'ils pensent exactement. Aucun sondage n'a encore été effectué auprès des personnes dûment inscrites sur la liste des membres, dont les échantillons pris dans l'ensemble de la population, ou même chez les électeurs péquistes, ne peuvent prétendre refléter l'opinion avec certitude. Il réserverait peut-être de grosses surprises.

La politique est un monde où les rumeurs abondent et, en l'absence de preuves irréfutables, il est impossible de distinguer entre la vérité et la fabulation dans celles qui courent sur les squelettes que M. Boisclair cacherait encore dans ses placards. D'ailleurs, s'ils existent, rien n'assure qu'ils en sortiraient un jour. Bien des épées de Damoclès sont demeurées suspendues à jamais.

La possibilité de les voir surgir au pire moment hante néanmoins bien des esprits. Dimanche dernier, le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, a manifestement voulu sensibiliser les militants péquiste au fait que la consommation de cocaïne était «un acte à connotation criminelle» avant de battre en retraite prudemment. Apparemment, les nombreux députés du Bloc qui ont rejoint le camp Boisclair n'avaient pas beaucoup apprécié les remarques de leur chef.

Au PLQ, il semble que la perspective de voir M. Boisclair devenir chef ait mis fin, au moins temporairement, aux grognements de ceux qui estiment que leurs chances de réélection seraient bien meilleures avec Philippe Couillard.

Même si Paul Martin a démontré qu'il est possible de renverser un premier ministre, ce n'est pas une mince affaire. Les sondages demeurent toujours aussi inquiétants pour les libéraux, mais si la vulnérabilité de M. Boisclair permettait de faire l'économie d'un putsch contre Jean Charest, personne ne s'en plaindrait. Sinon, il sera toujours temps d'y repenser.

À moins que des faits nouveaux soient révélés, il est difficile d'imaginer comment la dynamique de la course pourrait changer d'ici le 15 novembre. Si besoin était, la formule retenue pour les débats entre les neuf candidats a très bien démontré ses limites lors des deux premiers affrontements.

Il faut d'ailleurs reconnaître que M. Boisclair a très bien adapté son plan de campagne aux circonstances. Pour chaque thème à débattre, il dévoile trois engagements qui ne sont pas susceptibles de créer une grande controverse, tout en étant suffisamment précis pour qu'il soit en mesure de se défendre de parler pour ne rien dire. Entre les débats, il s'adresse à des auditoires en principe favorables, dans les cégeps ou les universités, dont l'enthousiasme ne fait que confirmer l'impression d'un irrésistible élan.

Qu'elle ait été feinte ou non, sa scène d'indignation devant les journalistes, qui auraient prétendument porté atteinte à son «intégrité physique», a porté des fruits. Les questions portant sur la cocaïne sont devenues rares et molles.